En avril 2024, les collectifs antifascistes belges se mobilisent contre l’organisation à Bruxelles de la NATCON, une conférence des extrême droites internationales[1]. A cette occasion, un nouvel acteur apparaît parmi les organisateurs : le MCC Brussels. Avant-poste de Viktor Orbàn dans la capitale belge, quelle est cette organisation qui déploie son lobbying dans les beaux lieux de Bruxelles ? De quoi parlent leurs conférences ? Pourquoi est-elle dangereuse pour nos démocraties ? Explications.

Titres

D’une pseudo-université Hongroise à une think tank bruxellois : d’où vient le MCC Brussels ?

A l’origine, le Mathias Corvinus Collegium (MCC) est un institut budapestois créé en 1996 par la famille Tombor, des hommes d’affaires promouvant des valeurs chrétiennes et conservatrices. C’est un lieu de formation dans divers domaines pour les jeunes de l’élite hongroise. Évoluant au fil des années, le MCC reste toutefois – dans les années 2010 – un lieu de conférences de la droite hongroise peu fréquenté et marginal. Les choses changent en 2020 et 2021 lorsque le clan Orbàn commence à le financer[2]. En 2021, Orbàn a attribué 1,7 milliard de dollars d’argent public et de biens immobiliers à cet institut. Le MCC sert à « préparer la nouvelle génération patriotique » afin qu’elle devienne les « dignes représentants de l’élite culturelle, économique et sociale hongroise ».  C’est à la fois un centre de réflexion et de formation des jeunes[3].  Il s’agit aujourd’hui de la plus grande institution de recherche et d’enseignement privée du pays. L’institut organise des conférences avec des invité.es de marque de l’extrême droite européenne, comme Eric Zemmour pour une conférence nommée « Migration et colonisation » et Marion Maréchal Le Pen pour défendre sa vision du système éducatif français. 

Pour étendre son influence, le MCC a développé des antennes dans 33 villes à travers l’Europe, dont une particulièrement active à Bruxelles. En effet, la capitale européenne est un lieu stratégique et de concentration de pouvoir.

Le MCC Brussels lance ses activités en novembre 2022. Il compte aujourd’hui 24 employé.es, dont deux personnalités aux apparitions médiatiques récurrentes : John O’Brien (responsable de la communication) et Frank Furedi (directeur). Ce dernier, professeur universitaire, octroie une illusion pseudo-scientifique aux expertises du MCC Brussels qui est présenté comme un « centre de réflexion hongrois pour mener la bataille des idées ». Ce think tank entend être une « vitrine moderne […] pour construire un autre narratif que celui qui domine dans la sphère européenne ». Selon David Paternotte, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, le MCC Brussels est le fleuron d’un « gramscisme de droite » qui entend construire une défense face à une hégémonie culturelle supposée de la gauche dans les institutions européennes, justifiant une bataille culturelle pour « (re)conquérir le pouvoir »[4].

Discours gris, conférences, et démarche pseudo-universitaire : comment le MCC diffuse ses idées

Dans l’optique de répandre ses idées, le MCC Brussels diversifie les canaux de diffusion : rapports d’analyse pseudo-universitaires, podcasts, nombreuses conférences & événements de networking gratuits dans la capitale. Ces différentes productions et évènements s’articulent autour d’idées réactionnaires, complotistes, conservatrices. Elles font évidemment écho aux politiques et valeurs portées par le régime hongrois de Viktor Orbàn. 

Pour cela, le MCC Brussels utilise ce qu’on peut qualifier de « discours gris ». Comme analysé et expliqué par le politologue François Debras (spécialiste des discours extrémistes et complotistes), ce concept fait référence aux discours inquiétants, mais non condamnables juridiquement, qui préparent le terrain aux discours incitant à la haine, la violence et la discrimination à l’égard de certains groupes. Par exemple, avec le discours gris, le terme «race» est remplacé par « culture » et « religion », ou encore « notre identité » laisse place à « nos valeurs » [5]. Mais derrière le langage juridiquement acceptable du MCC Brussels se cachent toujours les mêmes idées haineuses condamnables. 

D’ailleurs, ce sont bien des personnalités proches des idées réactionnaires d’extrême droite qui sont sans cesse à la tribune de leur conférence. Une brève analyse de leurs conférences permet de se rendre compte de ces mécanismes.

La migration est évidemment une de leurs thématiques de prédilection pour répandre leurs idées xénophobes. Lors d’un conférence de décembre 2024 qui abordait ce sujet, leurs intervenant.es défendaient une vision ultra-conservatrice des « valeurs européennes » mises en péril par des vagues d’immigrations. Il n’est pas étonnant que la théorie du complot – chère à l’extrême droite – du « Grand Remplacement » y ait été mentionnée. Dans la même thématique un an plus tôt, l’événement « Migration : pourquoi les frontières sont importantes ? » en octobre 2023, invitait la députée européenne Patricia Chagnon, membre du RN, parti ouvertement raciste et xénophobe, condamnée pour harcèlement moral à une peine de 2 ans d’inéligibilité.

Autres thématiques abordées par le MCC Brussels : la « menace du lobby » LGBTQIA+ (« Comment le lobby LGBTQ a-t-il pris le contrôle de l’UE ? » – conférence de novembre 2023) face à la perte de la famille traditionnelle comme socle de la société (« La famille en crise : Le problème de la socialisation » – conférence de décembre 2023), idée chère à Franck Furedi qui mène la discussion. Pour débattre de ce sujet avec lui, un député européen croate Ladislav Ilčić est invité. C’est un membre des Souverainistes, un parti croate conservateur, nationaliste et chrétien. Il a été par ailleurs à l’initiative d’une campagne politique contre le mariage gay, défendant des positions anti-avortement.

S’il faut encore continuer la liste des idées réactionnaires abordées, il y a la thématique classique de la « liberté d’expression » : « Liberté d’expression contre discours de haine : Le programme de censure de l’UE », qui consiste à se plaindre de ne pouvoir diffuser des discours de haine sans être inquiété par la justice ou des mobilisations progressistes, ou encore le climato-scepticisme : « Changement climatique : Au-delà du consensus » avec l’ex-professeur polémique Samuel Furfari de l’ULBmai 2024,ou évidemment le wokisme : « En finir avec le wokisme Lancement du livre avec Sylvie Perez » – janvier 2024.

En dehors de ces conférences, l’une des stratégies du MCC Brussels pour diffuser ses idées est d’imiter la production universitaire et de donner aux rapports qu’ils publient un aspect scientifique pour lui conférer une crédibilité. Pour cela, le think tank a par exemple recruté des personnes disposant de titres universitaires, bien que ces dernières ne rédigent pas dans leur domaine de spécialité. Les articles qu’ils publient disposent d’atours universitaires (sources, vague ancrage dans la littérature scientifique, esthétique des documents produits) mais n’en ont pas la qualité. Ces articles ne passent évidemment pas par des comités de lecture composés de spécialistes du sujet traité. Par ailleurs, là où le travail universitaire consiste à observer pour pouvoir arriver à des conclusions au sujet d’un objet de recherche et répondre à une question de recherche sans position préalable sur la question, les analyses du MCC font feu de tout bois pour « prouver » une position politique antérieurement décidée.

En résumé, le MCC est donc bien un think tank qui cherche à propager des idées haineuses, structurer son réseau et ses connexions, et travailler à la fascisation de l’Europe. On peut imaginer que les conférences, publications et podcasts constituent une partie de leur activité, à coté de rencontres avec des député.es européen.nes et de fréquentation des institutions belges ou européennes dont il est plus difficile de connaître l’existence. Par ailleurs, le MCC est à replacer dans un réseau plus large d’acteurs défendant de telles idées.

Le Réseau Anti-genre –  Le MCC Brussels, un îlot dans un archipel.

Selon le professeur en sociologie de l’ULB David Paternotte, l’activité du MCC Brussels est à resituer dans un « microcosme de droite populiste et d’extrême droite au cœur de la capitale de l’Europe, qui seconde les représentations officielles des gouvernements illibéraux […]. Tout ce petit monde, extrêmement bien connecté et dont la présence en ville ne cesse d’augmenter, essaie de faire basculer le consensus libéral qui a jusqu’à présent imprégné le processus de construction européenne »[6]. Ce réseau international se recoupe en particulier avec celui des acteurs dits « anti-genre » : un ensemble d’organisations (états-uniennes, européennes, religieuses), parfois directement reliées à des partis ou personnalités politiques, qui s’organisent pour peser sur les institutions européennes et les politiques concernant les questions LGBTQIA+ en prônant la « famille traditionnelle »[7].

David Paternotte invite à prendre en considération cette dimension internationale dans de futures mobilisations. Il suggère notamment d’organiser « un travail de veille au sujet de l’implantation de ces acteurs à Bruxelles et de leur potentielle mise en lien avec des acteurs internationaux, […] une plus grande internationalisation de la société civile belge et la mise en réseau internationale des décideurs publics sur ces questions […], développer davantage de liens avec des homologues européens ». Comme il l’explique également, ce travail exige des ressources humaines et financières, ce dont manque certainement les organisations antifascistes, mais il faut que la résistance se forme et s’organise…

Ne les laissons pas faire : pistes de stratégie !

Plus que jamais, il faut combattre les idées de l’extrême droite et ce réseau international organisé qui sévit stratégiquement à Bruxelles pour influencer les politiques européennes, normaliser les fameux « discours gris » et s’organiser en réseau. À Bruxelles, comme expliqué, l’enjeu est double : la lutte antifasciste locale s’inscrit directement dans la lutte internationale.

Nous, militant.es antifascistes, dénonçons le MCC Brussels comme institut aux idées nauséabondes d’extrême droite. Il est nécessaire de le rendre infréquentable et de contrer l’expansion de leur propagande réactionnaire menaçant les droits humains. Il nous faut, ensemble, dénoncer le caractère dangereux de cette organisation, sensibiliser, s’organiser et se mobiliser face aux acteurs de la fascisation de nos sociétés. 

Nous invitons les lieux accueillant ces événements à prendre leurs responsabilités et à ne plus recevoir le MCC Brussels. Nous estimons qu’il est de leur devoir de ne pas contribuer à la montée de l’extrême droite en Europe. Au besoin, il est certain que les collectifs antifascistes sauront s’organiser pour expliquer à ces lieux de réception la nécessité constante de lutter contre le racisme, les LGBTQIA+phobies, et toutes les haines.

Pas de lieu, pas de conférence. Pas de conférence… Pas de conférence.

« Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer !» Françoise Giroud


[1] https://liege.antifascisme.be/communique-de-presse-de-la-coordination-antifasciste-de-belgique-pour-que-plus-jamais-ca-revienne-a-lordre-du-jour-fr-nl-eng-es/ 

[2] https://www.courrierinternational.com/article/education-a-budapest-une-ecole-pour-former-une-nouvelle-elite-orbanisee 

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/18/a-bruxelles-un-nouveau-centre-de-reflexion-hongrois-pour-mener-la-bataille-des-idees_6150383_3210.html 

[4] https://shs-cairn-info.acces.bibl.ulaval.ca/revue-nouvelle-2024-4-page-56?lang=fr&tab=texte-integral 

[5] C’est d’extrême droite – Gioe&Debras (Politique Revue).pdf 
https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/317500/1/Presence-457-05-2024.pdf

[6] https://shs.cairn.info/revue-nouvelle-2024-6-page-57?lang=fr 

[7] “Gender Ideology” Battles in the European Bubble
 http
s://www.mediapart.fr/journal/dossier/international/europe-l-offensive-anti-genre

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