Au cours du mois de juillet 2024, le journal l’Humanité publie une enquête sur le milliardaire Pierre-Edouard Stérin et son plan « secret » Périclès, visant à « ancrer l’extrême droite à l’échelle municipale, asseoir son idéologie et conquérir l’appareil d’Etat ».

Parmi les personnages cités dans ce plan, on retrouve un belge, Aymeric de Lamotte.  Celui-ci est appelé à mener la « guérilla juridique ». Avocat, il a déjà défendu de nombreuses causes réactionnaires en Belgique – nous le détaillons dans cet autre article – mais comment est-il arrivé en France ? Et qui est Pierre-Edouard Stérin, le milliardaire d’extrême droite ?

Titres

Pierre-Edouard Stérin, riche, catholique conservateur, proche du Rassemblement National et anti-IVG

Pierre-Edouard Stérin est un milliardaire français qui s’est exilé fiscalement en Belgique depuis 2012. En 2014, Le Soir nous le présente comme « propriétaire au niveau mondial de Gault & Millau ainsi que de Weekendesk […][et détenteur de] la société Bongo, les célèbres coffrets-cadeaux appelés « Smartbox » en France et dans le reste de l’Europe ».

En 2024, l’Humanité complète son portrait : « Catholique, conservateur, libertarien, […] saint-patron de l’extrême droite ». Récemment, les journalistes de Marianne se sont mobilisé.es contre le rachat de leur hebdomadaire par le milliardaire, en raison de ses positions ultra-conservatrices et de sa proximité avec le Rassemblement National de Marine Le Pen, dont il a racheté la villa familiale en 2023. Bref, de quoi méditer la prochaine fois que vous croiserez un étalage de coffrets bongos …

Pierre-Edouard Stérin est également à la tête d’un fonds d’investissement « Otium Capital » et d’une organisation de « philantropie » le Fonds du Bien commun. C’est grâce à ces deux entités qu’il finance un ensemble de « projets » politiques ou financiers comme l’Institut du Journalisme Libre (école pour former des « journalistes à (l’extrême) droite), … ou le Plan Périclès.

Le Plan Périclès : « business plan de start up » visant à faire arriver l’extrême droite au pouvoir… et à l’y maintenir

Pierre-Edouard Stérin a en commun avec Vincent Bolloré de vouloir mettre sa fortune au profit de son idéologie politique. C’est en juillet 2024 que l’Humanité révèle son Plan « Périclès » pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes ». A travers une structure et un financement de 150 millions d’euros en dix ans, « ce plan vise [selon l’Humanité] à installer l’extrême droite au pouvoir, asseoir l’hégémonie de ses idées, conquérir l’appareil d’Etat », objectif décliné en toute une série de projets.

Dans les priorités du Plan Périclès pour 2024, on retrouve par exemple la mise en place d’une « école de formation des futurs dirigeants politiques partageant nos valeurs en proposant aux futurs candidats […] une palette d’outils stratégiques et opérationnels ». Lancement de la première promotion : septembre 2024.

Pour mener la « guerre des idées », le Plan Périclès mise sur la création d’un institut de sondage (appelé « observatoire indépendant et scientifique ») qui diffuserait massivement « les bons chiffres sur les sujets qui comptent ».

Est mentionnée également la volonté de créer une « réserve de 1000 personnes » capables d’assumer les rôles clés en cas d’accession du RN à des positions de pouvoir, d’où notamment la nécessité « d’identifier les hommes déjà en poste et alignés mais ne s’assumant pas ».

Le Plan Périclès est également un projet « d’union des droites » dont on entend de plus en plus souvent parler : réunir toutes les droites (RN, Zemmour, LR, et autres), et donc faire tomber ce qu’il reste du « front républicain ». A cet égard, Pierre-Edouard Stérin et ses copains ambitionnent de créer des liens avec tous les leaders des droites. Le Plan Périclès détaille leurs relations à ce jour : « Relation de confiance et influence : Jordan Bardella et Marine Le Pen (RN). Relation active mais pas de réelle influence : Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, David Lisnard, François-Xavier Bellamy (LR) et Marion Maréchal (Reconquête !) [parti qu’elle a quitté depuis]. Pas de relation activable à date : Nicolas Sarkozy (LR) et Eric Zemmour (Reconquête !).

Et enfin, le Plan parle de la « guérilla juridique », le combat pour les idées réactionnaires dans les tribunaux, menée par un certain Aymeric de Lamotte.

Aymeric De Lamotte, l’Institut Thomas More et la guérilla juridique de « Justitia »

Aymeric de Lamotte est loin d’être un bleu des milieux réactionnaires. Nous revenons d’ailleurs sur sa carrière belge dans un autre article. Il a fait ses gammes au MR, puis chez Alain Destexhe (2019). Il a également une activité extra-parlementaire dans les milieux nostalgiques de la colonisation, transphobes, islamophobes, anti-EVRAS, complotistes etc… En 2021, le jeune avocat (33 ans) s’intéresse à la France et rejoint notamment l’Institut Thomas More « pour accélérer [le] développement et renforcer [l’]influence [de l’Institut] en France et en Belgique».

L’Institut Thomas More, c’est un think tank, un laboratoire d’idées et d’influence conservateur et réactionnaire : anti-immigration, islamophobe, patriarcal, LGBTQIA+phobe etc.. Fondé par Charles Million, (ancien ministre de la défense française), le but est de faire rayonner les idées conservatrices en publiant des livres, des rapports, en organisant des « programmes de recherche » ou en passant dans les médias où l’Institut revendique 291 passages en 2023.

Il est financé par ses « membres » dont on ne connaît évidemment pas l’identité. L’Institut a-t-il été un des nombreux bénéficiaires de la Fondation du Bien Commun de Pierre-Edouard Stérin? Peut-être. En tout cas ce think tank – via son Ecole Thomas More – propose deux cycles de formations : une préparation aux Municipales 2026 et une formation à l’engagement… En droite ligne du Plan Périclès.

Mais le lien le plus direct entre l’Institut Thomas More et le Plan Périclès, c’est Justitia :  une équipe d’avocat.es belges et français.es destinée à mener la  « guérilla juridique » – lutte réactionnaire dans les tribunaux – sous la houlette d’Aymeric de Lamotte. Si le collectif fait partie de l’Institut Thomas More, il est cité nommément dans le Plan Périclès afin d’«organiser et professionnaliser le contentieux stratégique en utilisant les leviers juridiques/judiciaires médiatiques contre l’islamisme, l’immigration, l’attaque à la liberté d’expression, la théorie du genre».

Parmi ses membres, le collectif compte par exemple Thibaut de Montbrial – avocat lié à l’extrême droite et connu pour défendre les forces de l’ordre responsables de violences – Caroline Chaix – qui vient de créer une association visant à s’attaquer aux cours d’éducation sexuelle dans les écoles et liée à la Fondation du Bien Commun – ou encore Pierre Gentillet, candidat Rassemblement National en 2024.

Le mode d’action de la guérilla juridique est clair : « un collectif d’avocat.es + une association ayant intérêt à agir dirigés par Aymeric de Lamotte».  Il s’agit donc d’utiliser le droit pour faire progresser les idées réactionnaires et contrecarrer les luttes progressistes.

Le collectif Justitia revendique quinze affaires traitées en 2023, dont notamment la défense du collectif islamophobe Café Laïque à Bruxelles, le recours contre le guide d’éducation sexuelle EVRAS (en Belgique de nouveau) – où Aymeric de Lamotte a joué un rôle pivot entre les associations d’extrême droite et les milieux complotistes– et une mobilisation transphobe contre un article de la CAF en France. Bref, le collectif est bien lancé et il est probable qu’on le retrouve régulièrement dans les prochains mois et années.

Une extrême droite bien organisée : mobilisons-nous !

Il est difficile, moins de deux ans après la création du collectif Justitia, d’en évaluer l’impact. Toutefois, cela démontre l’organisation des réseaux d’extrême droite, le financement de leurs combats par des milliardaires comme Bolloré ou Stérin, et la pluralité des formes que prennent leurs luttes. Cette progression des idées d’extrême droite est également possible grâce à la compromission des élites du bloc bourgeois.

En France, les frontières entre droite et extrême droite s’affaissent. Au cœur de ces instituts, collectifs et autres associations dangereuses se côtoient des personnalités étiquetées aussi bien à droite qu’à l’extrême droite, étant passées par Les Républicains ou le Rassemblement National. Et Aymeric de Lamotte s’y est fait une place au chaud.

Qu’en est-il en Belgique ? L’infréquentabilité de l’extrême droite est plus forte mais vacille également. A ce titre, la place qu’a eue Aymeric de Lamotte dans les médias est à questionner, notamment dans La Libre : retrouvez ici l’article sur sa carrière belge, ses premières mobilisations réactionnaires et les médias qui lui ont ouvert la porte .

Face à l’extrême droite, mobilisons-nous ! Il s’agit d’une menace mortelle pour des pans entiers de la population, nous avons le droit de nous défendre et de contre-attaquer! Nous n’hésiterons pas à le rappeler aux médias lorsque ce sera nécessaire.

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