Au cours du mois de juillet 2024, le journal l’Humanité publie une enquête sur le milliardaire Pierre-Edouard Stérin et son plan « secret » Périclès, visant à « ancrer l’extrême droite à l’échelle municipale, asseoir son idéologie et conquérir l’appareil d’Etat ».

Parmi les personnages cités dans ce plan, on retrouve un belge, Aymeric de Lamotte.  Celui-ci est appelé à mener la « guérilla juridique » au service des causes réactionnaires. Dans un autre  article, nous détaillons le Plan Périclès, la place qu’y tient l’avocat et son parcours en France.

Mais le Bruxellois s’est d’abord démarqué en Belgique à travers plusieurs combats réactionnaires : défense de la colonisation, mobilisation anti-EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), islamophobie etc… On vous dit tout sur celui qui est passé aussi bien par les jeunes MR que par les colonnes de La Libre… au détriment du Cordon Sanitaire. 

Titres

Débuts politiques : jeunes MR, conseiller communal à Woluwé-Saint-Pierre puis Liste Destexhe 

Le Mouvement Réformateur n’étant jamais bien loin dans ce genre d’histoire. On retrouve les premières traces d’une implication politique d’Aymeric de Lamotte comme membre du bureau des jeunes MR. Il sera ensuite conseiller communal à Woluwé-Saint-Pierre sur les listes du MR à partir de 2012, poste qu’il occupera jusqu’aux récentes élections communales. Toutefois, le parti libéral ne semble rapidement pas être assez à droite pour l’avocat.

En effet en 2019, Alain Destexhe, de l’aile (extrême) droite du MR, quitte les bleus pour lancer son propre mouvement. Il co-fonde pour cela l’association « Oxygène » avec Aymeric de Lamotte. Destexhe reproche au MR son laxisme sur l’immigration, la signature du pacte de Marrakech et souhaite une ligne plus droitière depuis des années. Sa liste – qui compte notamment Jérome Munier, futur leader de Chez Nous – fera un flop aux élections.

Si Alain Destexhe s’est retiré de la vie politicienne,  il reste une des figures de la droite extrême « libérale ». Sa carrière a été marquée par ses propositions contre le voile en 2004 – isolées à l’époque mais annonçant la ligne du MR pour les années à venir -, un discours raciste sur l’islam et l’immigration, un voyage en Syrie polémique avec l’aide de la Russie et un engagement au côté d’Eric Zemmour en 2022. Il est encore actif aujourd’hui pour donner la parole à Chez Nous ou organiser des conférences avec Mathieu Bock-Coté, (éditorialiste en France notamment dans Valeurs actuelles, CNews et Europe1). Si Alain Destexhe a quitté le MR, certaines de ses idées y sont clairement restées. En rejoignant Oxygène et la liste Destexhe, Aymeric de Lamotte – et sa collègue Victoria de Vigneral qui finira au Rassemblement National – savent donc bien où iels mettent les pieds et quelles idées iels ont envie de défendre.

Par ailleurs, le troisième co-fondateur d’Oxygène est Baudouin Peeters. Celui-ci appartient au milieu nostalgique de la colonisation, avec qui l’avocat bruxellois entretient également des liens forts.

« Outré par l’omerta imposée sur la personne de Léopold II » Aymeric de Lamotte, défenseur de la colonisation et avocat des colons nostalgiques

Aymeric de Lamotte s’agite également en dehors des parlements et enceintes politiques. En 2015, l’avocat fait publier une tribune dans La Libre pour défendre « l’œuvre léopoldienne au Congo ». Il y reprend les poncifs pro-colonisations, dépeignant un roi Léopold II progressiste et une politique coloniale plutôt bienfaisante, à l’opposé de la violence systématique de la colonisation belge reconnue par le consensus historique. En 2020, joignant le geste à la parole, il est à l’initiative du collectif colonialiste qui nettoie  le buste aspergé de peinture rouge de Léopold II .

Il est également conseiller juridique d’associations comme URBA, association coupole d’organisations d’anciens coloniaux, ou Mémoire du Congo. Ces associations d’anciens colons nostalgiques se font «  un point d’honneur [à] pérenniser le précieux héritage que les Belges et les Africains, depuis 1885 jusqu’à ce jour, ont légué à l’Histoire, grâce à leur engagement pour le développement et la prospérité du continent, plus spécialement au Congo, au Rwanda et au Burundi ». Au nom de ces associations, Aymeric de Lamotte envoie en 2021 une lettre au Museum aan de Stroom d’Anvers. Il déconce l’exposition 100xCongo. Un siècle d’art congolais à Anvers et s’insurge que les écrits de l’écrivain anticolonialiste Aimé Césaire –  comparant le colonialisme au nazisme dans son Discours sur le colonialisme -, soient mentionnés dans l’exposition.

Défenseur de l’islamophobie et de la transphobie du Café Laïque

Dans la série «  mobilisation extra-parlementaire », les militant.es contre l’extrême droite de Bruxelles connaissent maintenant le tristement célèbre Café Laïque. Cette organisation illustre à elle toute seule la déchéance du terme laïcité dans le débat public. L’organisation, tenue par Françoise Bergeaud-Blackler et Fadila Maaroufi, s’est rendue célèbre en accueillant les conférences les plus réactionnaires de la francophonie. Les deux tenancières sont également spécialistes pour traiter d’« islamistes » et de « frères musulmans » tous ceux et celles qui ne partagent pas leurs positions islamophobes.

En 2023, Aymeric de Lamotte défend Fadila Maaroufi concernant ses propos profondément islamophobes (« frérot », « compagnon des frères », « barbu »…) envers le fondateur de l’ASBL Molengeek, Ibrahim Ouassari. Il défend également la fondatrice du Café Laïque concernant ses propos islamophobes envers Farida Tahar, députée Ecolo. L’avocat obtiendra gain de cause dans les deux cas, ce qui démontre au passage les lacunes de l’institution judiciaire en matière de lutte contre le racisme islamophobe.

Aymeric de Lamotte représentera aussi le Café Laïque suite à une action de protestation contre la tenue d’une conférence transphobe organisée par l’association. L’organisation portera plainte contre trois personnes, l’une d’entre elles étant poursuivie… pour avoir tweeté au sujet de l’action. Ces affaires juridiques ayant lieu en 2023, on peut supposer qu’elles prennent place dans le cadre du groupe « Justitia », collectif d’avocat.es réactionnaires issu du Plan Périclès, dont nous vous parlons dans un autre article concernant l’implication en France d’Aymeric de Lamotte.

Acteur central de la nébuleuse anti-EVRAS, complotiste et transphobe.

Toujours en 2023, la Belgique est secouée par le dossier EVRAS (Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle, deux heures d’animation annuelles données en 4ème primaire et en 6ème primaire). Devant cette initiative, « projet de société, […] dispositif de santé essentiel pour réduire les violences », de nombreuses résistances apparaissent. Des écoles sont incendiées sans qu’on identifie de coupables. Une importante désinformation circule sur les réseaux sociaux, diffusée notamment par des groupes complotistes, suscitant des inquiétudes infondées chez certains parents. Des manifestations sont également organisées.

Les organisations derrière ces différentes mobilisations sont diverses, n’ont pas toujours de liens entre elles et agissent parfois selon des motivations différentes . On retrouve par exemple des fédérations islamiques, qui semble toutefois êtres absentes des réseaux de désinformation sur les réseaux sociaux, selon la RTBF.

S’y retrouvent également le collectif catholique d’extrême droite Civitas ainsi que des réseaux complotistes (par ailleurs adeptes des théories du complot autour du Covid et des réseaux pédocriminels).

Enfin, deux associations apparaissent au cœur de cette nébuleuse, « l’Observatoire de la Petite sirène » et « Innocence en Danger Belgique» qui ont toutes les deux pour avocat Aymeric de Lamotte. Au nom des associations, l’avocat a déposé un recours contre le décret EVRAS. Selon la RTBF, l’association « Innocence en Danger » joue un rôle pivot. Elle fait « le lien entre anciens complotistes du Covid, théoriciens des réseaux pédocriminels et entités conservatrices ou d’extrême droite ». Bref, Aymeric de Lamotte est au cœur d’un des mouvements réactionnaires les plus virulents de ces dix dernières années en Belgique.

Il semblerait d’ailleurs qu’une des dernières actions d’Aymeric de Lamotte en tant que conseiller communal à Woluwé-Saint-Pierre a été de faire adopter une mention concernant l’EVRAS. Les détails du Conseil Communal du 20 novembre ne sont pas encore disponibles à l’heure de publier ces lignes, mais sur sa page X, l’avocat se félicite de l’adoption de sa motion (amendée) avec l’aide du « travail constructif » de ses collègues… des Engagés et du MR. Sans blague.

Et pourtant… Une chronique régulière à La Libre et une invitation au Petit Théâtre de Pascal Vrebos

En France, Aymeric de Lamotte intervient à de nombreuses reprises dans les médias. Qu’en est-il dans les médias belges où le cordon sanitaire médiatique est censé tenir éloignés des plateaux ceux qui propagent une parole raciste, d’appel à la haine de l’autre, homophobe etc ?

La Libre a accueilli Aymeric de Lamotte dans ses colonnes, dans les chroniques « J’assume » d’octobre 2022 à juin 2023.  A ce moment-là, l’avocat a donc déjà fait partie des listes Destexhe et est déjà Directeur général adjoint de l’Institut conservateur Thomas More (voir article sur sa carrière en France) – l’institut est d’ailleurs mentionné dans les chroniques. Du reste, La Libre connaît bien ses positions pro-coloniales puisque c’est dans ce journal qu’il a publié de nombreuses tribunes antérieurement.

Dans les 5 tribunes du format « J’assume », Aymeric de Lamotte aura l’occasion de propager de nombreuses opinions conservatrices sur l’euthanasie, le populisme, le  « wokisme » et la censure des « militants et associations transgenres, écologistes, végans, antiracistes ou encore néo-féministes ». Ce sera également l’occasion de défendre la venue en Belgique de personnalités comme Mathieu Bock-Coté, chroniqueur de la chaine CNEWS de Vincent Bolloré. (Cette conférence, empêchée à l’institut Marie Haps suite à une mobilisation antifasciste, aura finalement lieu au Club d’affaires B19 de John-Alexander Bogaerts, propriétaire du journal d’extrême droite « Pan »).

En septembre 2023, Aymeric de Lamotte est annoncé comme chroniqueur de l’émission « Le Petit théâtre » de Pascal Vrebos. Poste qu’il ne tiendra finalement pas sans que la raison de cette absence soit publiée.

Conclusion

Tout d’abord, et en particulier dans le chef de La Libre, il s’agit-là d’une rupture du cordon sanitaire médiatique. La Libre a traditionnellement une ligne éditoriale de droite et conservatrice. Cependant on peut observer qu’elle n’est pas toujours capable d’identifier l’extrême droite lorsqu’elle y fait face, et que diffuser ses idées au mépris du cordon sanitaire médiatique ne la dérange pas. Cela fait écho à la rupture récente du cordon sanitaire par le journal la DH, qui appartient au même groupe IPM, et avec qui La Libre partage d’importances ressources (bâtiment, journalistes, articles…).

Cela doit nous inquiéter et nous mobiliser. Il serait pertinent d’examiner davantage le rôle de La Libre dans la diffusion d’idées réactionnaires. De manière plus générale, nous sommes en droit d’exiger un respect de la déontologie et du cordon sanitaire de la part des médias et, au besoin, de leur faire une piqure de rappel.

Par ailleurs, on peut également observer comment la progression des idées d’extrême droite passe aussi par la mobilisation d’élites politiques, journalistiques, ou encore juridiques. Dans un pays où l’extrême droite est encore supposée être un tant soi peu infréquentable, il est indispensable de pointer les compromissions avec celle-ci.

Ce cas doit vraiment nous éclairer sur la progression des idées d’extrême droite en Belgique car tout y est : les liens avec le MR et Alain Destexhe, l’islamophobie et la transphobie, les milieux complotistes et anti-Evras, les liens avec les milieux d’ex-colons, la permissivité de certains médias et partis politiques et enfin le financement de l’extrême droite par un milliardaire : c’est un cas d’école .

Face à cela, opposons une lutte déterminée.

Retrouvez l’article sur l’implication d’Aymeric de Lamotte dans les réseaux d’extrême droite français, ici.

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