Le 5 décembre, Mathieu Bock-Coté, chroniqueur de CNEWS, la chaîne de télévision du milliardaire Vincent Bolloré, donnera une conférence dans un lieu encore inconnu d’Ixelles. La conférence est organisée par le Club de Pan, émanation du journal éponyme « PAN », propriété de l’homme d’affaires John-Alexander Bogaerts. Ce dernier, figure de la bourgeoisie bruxelloise, entretient des liens importants avec l’extrême droite franco-belge, ce qui devrait suffire à le rendre largement infréquentable. Toutefois – notamment grâce à sa chaîne de clubs d’affaires « B19 » – il dispose d’un réseau impressionnant dans les milieux économiques, politiques, journalistiques… et jusqu’au gouvernement. Portrait de ce bourgeois d’extrême droite que tout le monde connait.

Titres

Le fils issu de la bourgeoisie bruxelloise

John-Alexander Bogaerts n’a jamais connu le besoin, (très) loin de là. Sa mère est issue d’une grande famille de chocolatiers industriels (Leonidas et Daskalidès). Son père, Rudolph Bogaerts (appelé Rudy), est connu pour avoir fondé le Jury Bogaerts, une école de cours particuliers qui permet aux familles disposant des moyens nécessaires d’assurer la réussite de leurs enfants. Cette école est « une boite à BAC pour gosses de riches » comme le reconnaît John-Alexander Bogaerts. Sur une page Facebook à la mémoire du père Bogaerts, une photo montre le jeune John-Alexander posant aux côtés de sa famille avec le labrador familial et comme légende « Les Kennedy du Fort-Jaco »… Le décor est posé.

Après avoir échoué en droit à l’UCL, il obtient une licence en histoire à la Brussels University, autre école fondée par son père. C’est pourtant dans l’évènementiel qu’il se lance en fondant la  boite d’évènements « 4J Concept » avec John-John Goossens (fils de l’ancien patron de Belgacom John Goossens) et Jérôme Fabry. On fera l’hypothèse que les investissements nécessaires sont d’abord venus des avoirs familiaux… Lancée en 1996, l’aventure se terminera en 2007.

En 2004, il lance également la société Inside Editions, active dans la presse « hyper spécialisée ». Cette société lance un premier magazine gratuit mais bourré de publicités de luxe – « Zoute People » – qui propose uniquement des photos de bourgeois participant à des événements à Knokke. Devant le succès de la formule du Zoute People, celle-ci sera déclinée également en « Hockey People » ou encore « Anderlecht People », allégorie d’une bourgeoisie qui adore se regarder.

Le B19 et le networking

Quelques années plus tard, en 2014, émerge l’un des projets phares de John-Alexander Bogaerts : le B19.  L’entrepreneur annonce vouloir créer « un club d’affaires pour les petites boites et les PME ». L’initiative rencontre un certain succès. Lancée à l’origine à Uccle – à partir d’un bâtiment hérité de son père – plusieurs nouvelles « antennes » ont été lancées depuis : Anvers, Liège, Gand, Diegem, Namur, en Brabant Wallon etc. 

En 2019, le B19 ouvrait une antenne supplémentaire – Avenue Louise – lorsque John-Alexander Bogaerts hérite d’un bâtiment au décès de sa grand-mère. Lors du lancement de l’antenne carolo en mars 2024 du B19, la chaîne de clubs d’affaires annonce disposer de 19 « bases » lui permettant de couvrir toute la Belgique ainsi que le Luxembourg. Des partenariats ont également été signés avec la France dont Paris en 2020 et la Région Hauts-De-France en septembre 2025 (annoncé sur la page instagram de John-Alexander Bogaerts). Par ailleurs, en 2020, John-Alexander Bogaerts met également la main sur le Cercle de Lorraine, institution bourgeoise historique de Bruxelles, en partenariat avec Bruno Pani.

Aujourd’hui, la chaîne B19 organise des conférences, afterworks, speed-datings d’entreprises, visites d’entreprises, et autres activités de networking. Son site internet revendique plus de 2000 membres et plus de 150 événements par an.  La galerie de photos donne un aperçu de la diversité des personnes invitées à venir parler aux différents évènements du B19.

En voici une petite liste absolument non-exhaustive : personnalités entrepreneuriales et économiques (Marc Raisière (CEO de Belfius), Thomas et Piron, Yannick Bolloré, CEO de Walibi, Ghelamco),  personnalités politiques (Maxime Prévot, Georges-Louis Bouchez, Théo Francken, David Clarinval, Nicolas Sarkozy, Sophie Wilmès, Bart de Wever, Valérie Glatigny, Adrien Dolimont, Alexander De Croo, mais également… Thomas Dermine), personnalités judiciaires (Michel Claise, Julien Moinil…), religieux (Eric de Beukelaer), scientifique (Marius Gilbert), journalistiques(Pascal Vrebos, Nicolas Vados, visite des imprimeries Rossel, VTM…), artistiques (Kev Adams, Dany Boon, Stéphane De Groodt, Frank Dubosc…), ou encore sportifs(Mathieu Van der Poel, club de l’Antwerp, club de Charleroi).

En 10 ans, le B19 est devenu un réseau de networking – et donc d’influence – assez en vue en Belgique. Mais c’est également un QG. À partir de ses antennes, John-Alexander Bogaerts « déploie » ses différentes activités. Cela lui permet d’entretenir ses réseaux aussi bien à droite… qu’à l’extrême droite. Et notamment le journal PAN dont il est propriétaire.

Le Journal Pan

Historiquement, le journal PAN actuel est l’héritier de deux organes de presse belge : le journal PAN et son concurrent « Père-Ubu ».

Le journal PAN apparaît à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et entend imiter le Canard Enchaîné. Au cours des décennies suivantes, diverses tendances politiques cohabiteront au sein du journal mais il sera régulièrement catalogué à l’extrême droite. Plusieurs personnalités associées à l’extrême droite et à la Collaboration y officieront : le dessinateur Alidor (Paul Jamin) qui a dessiné pour Le Pays Réel, l’organe de presse du parti Rexiste de Léon Degrelle, l’intellectuel Robert Poulet ou Félicien Marceau. En 1990, Alidor et Henry Vellut quittent le PAN à l’arrivée d’un  nouveau propriétaire et fonde Père Ubu, un journal concurrent.

Rudy Bogaerts (le père de John-Alexander) devient le rédacteur de ce dernier à la fin des années 1990. Il faut dire qu’il semble disposer des bonnes idées politiques pour cela. Il a milité dans sa jeunesse dans les organisations étudiantes d’extrême droite au Centre des Étudiants nationaux et à la Fédération Générale des Étudiants Européens. En 2004, chroniqueur de Radio Judaïca (radio où son fils est régulièrement présent aujourd’hui), il tient des propos racistes et homophobes. « Il y a à Bruxelles, un très grand nombre d’élus maghrébins, donc le ver est dans le fruit et, un jour proche, ces gens vont dire ce qu’ils pensent réellement, ils vont créer leur propre parti parce qu’ils ne peuvent pas rester dans le PS avec Di Rupo et toutes les folles qu’il y a là, qui parlent de mariage homo et qui se promènent avec les seins à l’air […] Une marocaine a six gosses à Bruxelles alors qu’au Maroc elle n’en a que trois… et donc il est clair que la natalité est une arme ». Lui-même étant par ailleurs contre le mariage homosexuel. À sa mort en 2007, il recevra les hommages du Front National, de Belgique et Chrétienté et du Vlaams Belang.

Plus récemment, ont collaboré au Père Ubu également Jean-Paul Dumont, passé du PSC (ancêtre des Engagés) au Front démocratique bruxellois, scission du Front National belge, et Baudoin Peeters, issu des milieux nostalgiques de la colonisation et ancien collaborateur d’Alain Destexhe au Sénat. Alain Escada, ancien porte-parole du Front Nouveau de Belgique, parti d’extrême droite, et actuel président de l’Institut Civitas revendique également avoir collaboré à l’hebdomadaire. Selon ce dernier, Rudy Bogaerts aurait été membre de l’OAS, d’Occident et d’Ordre Nouveau… rien que ça.

John-Alexander Bogaerts hérite du Père Ubu en 2007 à la mort de son père. En 2010, il rachète le magazine PAN et opère une fusion qui redeviendra peu à peu le Journal PAN.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Force est de constater que le PAN défend toujours dans ses pages et sur ses réseaux des idées racistes et réactionnaires.


Pour commencer ce tableau, nos ami.es de RésistanceS avaient déjà noté la grande mansuétude avec laquelle le journal PAN a accueilli l’arrivée du parti Chez Nous dans le paysage politique belge, ex-parti d’extrême droite disparu après les élections de 2024 : «  Des initiatives crédibles comme le mouvement « Chez Nous » semble arriver dans le paysage politique. A-t-on besoin d’un tel parti ? » Parti qu’il désigne comme « Parti de droite décomplexée »… bien que soutenu par le Vlaams Belang et le Rassemblement National. Le journal leur avait d’ailleurs accordé une interview, faisant complètement fi du cordon sanitaire.

Toujours côté extrême droite francophone, on retrouve parmi les « plumes » du PAN Drieu Godefridi, climato-sceptique et fan de Trump anciennement proche de Corentin de Salle, un idéologue du MR. En 2025, cet « intellectuel » avait d’ailleurs été recruté par la NV-A pour être sa tête de liste en Wallonie. Plusieurs médias lui avaient alors opposé le cordon sanitaire médiatique.  

Dans le numéro 4215 de PAN (paru ce 24 octobre 2025), il vante dans un article la politique migratoire de Donald Trump (politique dont vous pouvez trouver des extraits ici), en espérant que l’Union Européenne s’en inspirera un jour. Il félicite le « primat de la volonté sur la fatalité » au sens selon lui du juriste allemand et antisémite Carl Schmitt dans « la Théorie de la Constitution » dont il spécifie la date de parution : 1928.

S’il spécifie la date, c’est peut-être pour se préserver de ceci : au printemps 1933, Carl Schmitt rejoint le parti Nazi dont il sera un membre éminent avant de tomber en disgrâce. Mais déjà dans les années 1920, Carl Schmitt fera les louanges du régime de Mussolini et ses idées – dont celles développées dans la Théorie de la Constitution – seront grandement utilisées par le régime nazi, notamment dans sa constitution juridique. Selon le spécialiste du nazisme Johann Chapoutot « [Carl Schmitt] était un vrai juriste et un vrai nazi. Que ce soit par opportunisme ou par conviction, il a accompagné le national-socialisme de l’éclosion à l’implosion ».  

Et Drieu Godefridi de finir son argumentation en nous indiquant ce qui est selon lui le « sens de l’histoire » : la « remigration ». Cette « solution » – prônée par les tenants de la théorie raciste et conspirationniste du « grand remplacement » – consiste peu ou prou à une déportation forcée des personnes issues de l’immigration ou non-blanches. En janvier 2024, les révélations concernant une rencontre secrète entre l’AfD,  des néonazis et des personnalités de l’aile la plus droitière de la CDU concernant cette remigration avaient suscité l’effroi en Allemagne et des manifestations d’une ampleur rarement vue avaient eu lieu… Ça commence à faire beaucoup de (néo)nazis dans cette histoire.

Ironie de l’histoire ? Le siège du PAN – renseigné sur leur site – est l’antenne B19 à Ixelles. Il s’agit du bâtiment 347 Avenue Louise, aussi connu… Pour avoir héberger les activités de la Gestapo dans ses caves. « C’est au 347 que les flics nazis ont tenté d’écraser la Résistance en plein en 1943, c’est là qu’ils ont organisé la chasse aux Juifs dans les rues ainsi que l’ultime rafle du 3 septembre« .

Drieu Godefridi a par ailleurs comme autre « qualité » d’être climato-sceptique, caractéristique qu’il partage avec deux autres de ses co-auteurs dans ce numéro : Samuel Furfari, et Rémy Prud’homme. Ce dernier écrit également dans le magazine d’extrême droite français Causeur et la revue Front Populaire, revue crée par le philosophe Michel Onfray…récemment invité aussi par le journal PAN.

Le 6 mars 2025, le PAN a fêté ses 80 ans d’existence. Pour cela, John-Alexander Bogaerts invite le pseudo-philosophe français séduisant fortement l’extrême droite. Celui-ci est d’ailleurs un habitué de la chaîne CNEWS, appartenant à Vincent Bolloré. Lors de cette soirée anniversaire organisée au Mix de Boisfort, le philosophe n’avait d’ailleurs pas tari d’éloges au sujet de Bolloré : «Surgit Bolloré, qui crée des médias qui disent ce qui est. Ce que cette gauche médiatiquement omnipotente ne peut supporter ».

Ce qui parait insupportable ce sont peut-être les 52 sanctions contre les chaînes C8 et CNEWS pour des mensonges concernant le droit à l’IVG, mensonges islamophobes, propos racistes, propos climato-sceptiques, propos validistes, agressions sexuelles en plateau, diffusion de théorie du complot, etc. On notera notamment la sanction de 200.000€ pour des insultes d’Eric Zemmour contre les personnes migrantes.

Mais, CNEWS et Eric Zemmour, ça ne dérange pas John Alexander Bogaerts, que du contraire. Car le journal PAN n’est pas le seul lien qui lie ce dernier aux réseaux d’extrême droite. On vous raconte les autres dans cet article. On vous y parle également des liens forts avec certains médias et avec le Mouvement Réformateur qui n’est jamais très loin quand on parle d’extrême droite. Enfin, on tire les leçons de cette enquête et on vous partage nos pistes pour lutter avec vos collectifs 😉

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