Cher Paul,

Nous avons lu avec attention ton interview dans Le Soir concernant le cordon sanitaire et l’extrême droite qui s’organise au sein du Mouvement Réformateur et écouté ton interview sur La Première. En effet, en tant que collectif Vigilance Cordon Sanitaire, notre toute première action en avril 2024  a été de dénoncer l’extrême droitisation du MR en collant des centaines d’affiches dans plusieurs villes et d’interpeller les médias sur le rôle qu’ils pouvaient jouer face à cela. Nous sommes donc ravi·es que tu rejoignes le débat, mieux vaut tard que jamais.

Si nous partageons certaines de tes analyses, nous constatons également des erreurs importantes et des propositions stratégiques contre-productives, voire dangereuses. Après être revenu·es sur ce que nous partageons et sur ce que nous trouvons erroné, voire dangereux, nous te proposons nos solutions.

Le MR et l’extrême droite : 50 nuances pour dire souvent les mêmes choses

« Le MR est d’extrême droite »,« Certaines personnes au MR sont d’extrême droite », « l’extrême droite s’organise au MR », « le MR s’extrême droitise ». Derrières ces différentes manières de le dire se retrouvent les mêmes faits épinglés par tous·tes : repartages d’extrême droite sur twitter, violence dans les propos, attaques contre les syndicats, les médias et la culture, politiques et propos racistes, criminalisation de l’opposition politique, recrutement de personnalités d’extrême droite, ruptures du cordon sanitaire, complicité et complaisance avec un État génocidaire, etc.

Si ces nuances peuvent être importantes dans le débat, elles découlent parfois davantage des caractéristiques des personnes les proposant que de véritables différences analytiques sur le fond: militant·es antifascistes, journalistes, professeur·es d’universités, membres de parti… Chacun·e mobilisera un discours en fonction de sa place dans le champ du débat politique, pour un même constat : en infiltrant l’extrême droite et ses idées par delà le cordon sanitaire, le MR menace la démocratie. Nous ajouterons également que le MR est un parti structurellement raciste.

Voilà pour ce que nous partageons comme analyse. A l’inverse plusieurs des analyses et propositions ne nous convainquent pas.

« Il y a des gens au MR qui sont de vrais démocrates et humanistes » : faux et utile à la stratégie du MR.

Le MR a adopté cette stratégie d’extrême droitisation depuis plusieurs années maintenant. Ils ont choisi un président qui l’incarne en tout point, et de nombreux cadors du parti avec lui (Ducarme, Clarinval, etc.). Les résultats électoraux du MR découlent de cette stratégie. Aujourd’hui, les responsables politiques, élu·es et militant·es du MR sont des gens qui s’accordent avec cette extrême droitisation et qui en bénéficient. Il est bien trop tard pour feindre la candeur. Lorsqu’on se prétend libéral et démocrate, la moindre des choses est d’être conséquent lorsqu’il y a danger pour la démocratie. Celles et ceux qui ne s’en accommodaient pas sont parti·es, celles et ceux qui sont resté·es et se taisent sont complices.

Cet argument des « pas tous pareil au MR » sert le parti « libéral » qui préserve ainsi son image de parti de droite « respectable » et « démocrate ». Il peut ainsi à la fois séduire grâce à des arguments d’extrême droite tout en conservant un électorat de droite plus classique qui s’aveugle (fort facilement) en ne regardant que Sophie Wilmès, Michel de Maegd et autres personnalités « moins sulfureuses ».

Cet argument permet également au MR de conserver une certaine respectabilité et donc d’être un partenaire de coalition envisageable, et de hurler au scandale dès lors que se pose la question de leur appliquer le cordon sanitaire.

Les membres du MR doivent être considérées comme complices et tenus responsables des politiques et discours de leur direction.

« Le cordon sanitaire ne fonctionne plus et ouvrir le débat permettrait de déconstruire les idées » : faux et dangereux

Commençons par rappeler pourquoi et comment le cordon sanitaire et ses différentes incarnations – politique/politicienne, médiatique mais également politique/philosophique » – fonctionnent ou ont fonctionné.

Cordon sanitaire politique

En Flandres, malgré la progression très préoccupante du Vlaams Belang, rompre le cordon sanitaire politique reste coûteux et demeure un fait exceptionnel. Ainsi, lorsque des élus ont rompu le cordon sanitaire à Ranst, ils se sont ensuite fait exclure de l’Open VLD et du CD&V. En Belgique francophone, le cordon sanitaire politique, doublé du cordon médiatique, a, jusqu’à aujourd’hui, contribué à prévenir l’émergence de partis d’extrême droite classiques, comme l’atteste les échecs du Parti Populaire, de Nation ou de Chez Nous.

Cordon sanitaire médiatique

Le cordon sanitaire médiatique, en particulier, en a été un ingrédient indispensable. La Belgique francophone fait figure d’exception en Europe tant par l’existence de ce dispositif, que par la non-émergence de partis d’extrême droite, comme nous venons de l’évoquer. Il nous semble que ce n’est pas un hasard, et un article de Léonie de Jonge de l’université de Groningen en atteste.

Cet article rappelle que les enquêtes d’opinions n’indiquent pas que les wallon·nes seraient historiquement plus tolérant·es que les flamand·es et qu’on ne peut donc pas expliquer la faible présence politique de l’extrême droite en Wallonie par l’absence d’un « terreau » parmi l’électorat. Il explique également que les guerres des chefs au sein des groupuscules d’extrême droite wallons et leurs difficultés à se structurer ne suffit pas non plus à expliquer leurs échecs électoraux. En revanche, l’article soutient que c’est essentiellement en empêchant les idées et thèmes d’extrême droite de devenir des points de clivage politique majeurs que le cordon sanitaire a été efficace pour prévenir la montée de partis d’extrême droite. Il explique certes que les partis politiques, dont le PS, ont historiquement joué un rôle en contribuant à maintenir les thèmes socio-économiques au centre des clivages politiques, mais il insiste également sur l’importance du rôle des médias pour empêcher ces thèmes d’émerger dans le débat public et ainsi ne pas encourager les partis politiques traditionnels à droitiser leurs positions pour occuper cet espace politique.

Tu expliques cependant qu’en raison d’évolutions diverses (en fait tu n’en cites que deux : l’extrême droitisation du MR et les réseaux sociaux), le cordon sanitaire ne fonctionne plus, et tu proposes qu’il vaudrait peut-être mieux que « les idées s’expriment, pour pouvoir les contrecarrer ».

Toutefois, si on parle de l’extrême droitisation du MR : les idées s’expriment déjà et peuvent donc être contrecarrées. Nous sommes partisan·nes d’élargir le cordon sanitaire politique au MR, mais suivant la logique que tu exposes on voit difficilement en quoi « laisser les idées s’exprimer » changerait quoique ce soit à la situation actuelle sur ce plan-là.

D’autre part, le cordon sanitaire dans sa forme actuelle permet déjà de contrecarrer les idées ou thèses d’extrême droite. Le cordon sanitaire médiatique n’empêche pas de commenter les idées d’extrême droite mais force précisément à les mettre en contexte à les déconstruire. 

Le cordon sanitaire médiatique oblige les médias. En tant que collectif antifasciste, c’est un outil que nous pouvons utiliser pour rappeler ces médias à leurs responsabilités démocratiques, notamment via le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) ou  le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). C’est un engagement journalistique et déontologique que de nombreux·ses journalistes respectent d’ailleurs très bien et sur lequel ielles peuvent s’appuyer dans leur travail quotidien pour résister à d’éventuelles tentations de droitiser le débat public dans le champ médiatique.

Le Cordon sanitaire comme outil politico-philosophique

Enfin, le cordon sanitaire est une idée qui vit dans la population belge et qui transcende même parfois certains clivages politiques. Une idée qui convainc une grande partie de la population et dont nous sommes nombreux·ses à être fier·es. C’est un outil, une idée qui va au delà des textes juridiques et déclaratoires : « En Belgique l’extrême droite est et doit rester infréquentable. Nous avons dit « Plus jamais ça », nous ne reviendrons pas là dessus ». Nous devons continuer à faire vivre cette idée, même si elle est aujourd’hui attaquée. C’est une idée politique sur laquelle tous les militant·es contre l’extrême droite et le fascisme peuvent s’appuyer pour mener leur lutte.

Alors face à l’extrême droitisation du MR, que faire ? 

Nous les militant·es faisons ce que nous avons à faire : dénoncer, visibiliser, lutter, perturber.

Nous pensons que d’autres acteurs ont un rôle à jouer. Les universitaires doivent produire des analyses pertinentes des phénomènes politiques et être capables de repenser leurs étiquettes analytiques pour produire des analyses adaptées aux situations contemporaines. A cet égard, le parti de Victor Orbàn (Fidesz), derivé de la droite « classique » vers l’extrême droite au cours des années, peut nous servir de boussole pour comprendre certains changements en cours au MR.

Les médias doivent continuer de respecter le cordon sanitaire médiatique. De plus, ils doivent être capables de décrire et analyser la droitisation du débat public par le haut. Celle-ci a pour conséquence la normalisation des idées et politiques d’extrême droite qui doivent pourtant être décrites comme telles même lorsqu’elles proviennent des partis traditionnels.

Rompre les alliances

En tant que parti, nous vous appelons donc une nouvelle fois à rompre les alliances à tous niveaux de pouvoir avec le MR. Pointer du doigt son extrême droitisation sans jamais leur en faire subir les conséquences ne fonctionne pas et ne fait que rajouter de l’eau à leur moulin des « biens-pensants qui critiquent le MR qui dit la « vérité » ». Ce n’est que si le MR paie les conséquences de sa radicalisation qu’il pourrait faire marche arrière.

Ne pas copier l’extrême droite

Nous en profitons également pour vous rappeler que la meilleure façon de combattre l’extrême droite  est évidemment de ne pas reproduire ses discours et politiques. Nous attirons donc ton attention en particulier sur le bourgmestre de Charleroi, Thomas Dermine, et celui de la Ville de Bruxelles, Philippe Close.

Le premier mène une politique de répression des personnes sans papiers et de défense de la « sécurité » qui questionne clairement ses valeurs.

Le deuxième est à la tête d’une répression féroce contre les rassemblements en soutien à la Palestine.

Ces pratiques déshonorent votre parti, vos actes contredisent vos discours et votre volonté affichée de lutter contre l’extrême droite s’en trouve ridiculisée.

Bien à toi,

Le Collectif Vigilance Cordon Sanitaire

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